La photographie dans un contexte de pauvreté
La pratique de la photographie dans le cadre d’une étude ethnographique ayant pour sujet de recherches la perception de la pauvreté.
Qu’est ce qu’est une photographie illustrative d’une recherche en sciences sociales ?
L’image constitue le prolongement des perceptions de l’œil humain et résulte du processus d’observation. Il est légitime de présupposer que la photographie, par ses propres découpages du réel, peut induire des choix d’ordre théorique et donc contribuer à construire des objets propres en opposition avec le réel. Ce caractère rappelle que l’image constitue une réalité subjective car soumise à l’interprétation visuelle et psychologique (émotionnelle) du spectateur. Néanmoins, la sélection rigoureuse des sujets photographiés associée à une technique photographique en particulier permet de dépasser les limites généralement attribuées à l’image dans le cadre d’une étude ethnographique.
Pour ce faire, la photographie doit être comprise dans une “totalité”. L’image s’insère dans un système d’échange et constitue un lien entre le photographe et son sujet. La photographie exprime ainsi une totalité dont la valeur scientifique des informations recueillies dépasse souvent celle faisant référence à d’autres supports car l’image contient non seulement la représentation du conscient mais aussi de l’inconscient. Alors elle sort de son cadre strictement informatif pour rejoindre le domaine artistique et se poser en témoin d’une observation intimiste. L’information qu’elle contient devient scientifique.
Quelle est la méthodologie développée ?
Le travail photographique repose sur la spontanéité du sujet. Ceci suppose que la prise de vue doit être aussi naturelle que possible, l’appareil doit faire corps avec le photographe et sa présence doit être oubliée. Afin de privilégier le caractère spontané, la prise de vue s’effectue dans la continuité du mouvement, c’est l’ethnologue – photographe qui s’adapte à son sujet et non l’inverse. Cette technique a pour fonction d’insérer la photographie au cœur de la situation observée afin de permettre au spectateur d’avoir un contact privilégié avec le sujet reposant sur le caractère intimiste de l’image en limitant les référents culturels. La spontanéité et le mouvement soulignés par l’image permettent de ne pas rompre “l’instant”, c’est-à-dire de ne pas imposer un “temps spécifique” que l’on pourrait qualifier de “temps photographique”, mais au contraire, d’insérer cette dernière dans l’action. La photographie illustre ainsi un principe de continuité et de mouvement. De plus, le matériel utilisé conserve la proportion “naturelle” du sujet et contribue à préserver une représentation fidèle des corps. L’utilisation de ce type de matériel et le recours à cette technique imposent au photographe de se tenir à une distance proche du sujet observé, l’obligeant à réaliser un cadrage serré. La distance du photographe par rapport au sujet s’insère dans une relation intimiste car elle est à la fois proche du sujet et pourtant suffisamment éloignée pour lui permettre de s’exprimer s’il le désire.
Pourquoi le portrait est-il privilégié dans vos travaux ?
Des sujets photographiques retenus pour illustrer mes recherches sont les portraits. Les clichés photographiques montrent des visages d’enfants qui présentent une forte personnalité soulignant une maturité adulte. La forte personnalité émanant des regards est en partie suscitée par le fait que le sujet se voit attribuer un rôle d’adulte au sein de la société qu’il occupe. Les visages qui se révèlent sur les tirages témoignent d’une dualité enfant-adulte, marquée par une maturité dans le regard habitant un corps juvénile. Les traits du corps sont ceux d’un enfant tandis que le regard souligne une personnalité forgée à travers des conditions de vie difficiles. Ces regards dans lesquels le lecteur peut lire des “échantillons de vie” insistent sur la maturité de l’enfant qui n’en est alors plus un. Les photographies témoignent de la perception de la “pauvreté” en insistant sur cette dualité vécue au quotidien et constituant un véritable témoignage de la relation sociale : enfant-travail. La représentation du corps et du regard à travers la photographie intègre la dimension sociale du sujet et révèle dans une certaine mesure le quotidien des enfants “pauvres”.
Comment les photos sont-elles illustratives de la pauvreté ?
La vocation d’un tel travail photographique est de souligner l’idée que la “pauvreté” se manifeste à travers le langage physique et social du corps. Un autre sujet photographique retenu est l’appropriation de l’espace par les enfants et les adultes en situation de “pauvreté”. Au cours de mes précédents terrains, on constate que les endroits ravagés et insalubres sont devenus des terrains de jeux, des lieux d’habitation et de vie pour les populations établies en de tels lieux. En soulignant cette faculté de l’intellect, les clichés photographiques insistent sur l’un des aspects de la culture de “pauvreté” révélé par les populations occupant l’espace insalubre. S’essayer à figer ces aspects de la vie sociale contribue à faire de la photographie une véritable ethnographie. L’image bien que figée, l’interprétation qui en résulte est elle, mouvement. En ce sens, l’image est une construction et plus particulièrement en ce qui concerne l’étude de la perception de la “pauvreté”, une construction permettant une ré-interprètation d’une situation de terrain. La fiabilité de la méthode ethnographique dépend autant de ce qui est vu que de ce qui est retenu. Lorsqu’elle est art, l’image permet de conserver vivante l’observation. La représentation échappe au temps, semblable à celle de l’œuvre d’art. En montrant le détail, la photographie contient une totalité : elle est ethnologie.