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Les banques céréalières et les modes d’adaptation spécifiques des populations face à la crise

Le phénomène inflationniste n’est pas limité aux marchés céréaliers mais s’étend à l’ensemble de la filière commerciale. Même si l’inflation est moindre au sein des réseaux des banques céréalières, ces dernières restent fortement exposées au phénomène. Quelle est la situation des banques céréalières vis-à-vis des pratiques spéculatives ? Enfin, quels sont les modes d’adaptation compensatoires spécifiques développés par les familles ? Ce troisième et dernier article propose de s’attarder sur ces aspects caractéristiques de la crise nigérienne.

Les banques céréalières dans la région de Zinder n’échappent pas au phénomène inflationniste

Les réseaux commerciaux constitués par les banques céréalières sont fortement touchés par la spirale inflationniste. D’après le Projet d’Appui au Développement Agricole dans la Région de Zinder (PADAZ), plusieurs banques céréalières ont renouvelé leur stock entre les mois de septembre et novembre 2005, en achetant la tia de mil à un prix compris entre 300 FCFA et 325 FCFA auprès des membres. Ces mêmes banques ont cumulé un stock équivalent à environ 10 tonnes de mil. Il se trouve que durant les premiers mois de la période de soudure, au lieu de vendre la tasse à 400 FCFA comme cela était prévu par les comités de gestion des banques céréalières, ces derniers ont vendu la tia à un prix compris entre 425 FCFA et 475 FCFA. Ce phénomène s’explique par le fait que les stocks étant insuffisants pour satisfaire la demande des membres. Malgré l’inflation des prix qui en résulte, la majorité des stocks de céréales étaient épuisés dès le mois de juin 2005.

La situation précédente montre que la capacité des banques céréalières à garantir le maintient d’un prix de vente inférieur à celui du marché dépend essentiellement de l’équilibre entre leurs stocks initiaux et la demande exprimée par les membres. Ainsi, lorsque cet équilibre est rompu à la défaveur des bénéficiaires, la tendance inflationniste s’impose comme moyen de régulation. Les premières victimes du phénomène sont les familles les plus démunies. Le paradoxe de cette situation réside dans le fait que nombre de ces familles disposent de liquidités ou de moyens pour se procurer la marchandise au prix initialement fixé par les comités de gestion mais ces moyens se révèlent souvent insuffisants pour faire face à la hausse des prix. De plus, les non membres des banques céréalières utilisent les membres pour s’approvisionner via leur réseau de solidarité. Ainsi, la part attribuée à chaque membre étant définie au préalable par les comités de gestion, ces derniers sont dans l’obligation de la partager avec leurs relations. Ces caractéristiques constituent-elles les limites du cadre de commercialisation tel qu’il est structuré actuellement à travers les banques céréalières ?

Le phénomène inflationniste a été particulièrement important au cours de l’année 2005 et reste conséquent au cours de l’année 2006. Dans la région de Zinder, lors de la crise de 2005, la tia de mil a atteint 1500 FCFA. D’après certaines ONG, de janvier 2006 à juin 2006, le prix de la tia a fluctué de 375 FCFA à 425 FCFA. En juillet 2006, certains acteurs soulignent que sur les marchés de la région de Zinder, le prix de la mesure avoisinait 525 FCFA. Les populations agro-pastorales sont aussi fortement fragilisées par le phénomène. De façon générale, les prix de vente des animaux accusent une hausse entamée en août 2005 pour se stabiliser en décembre suite à la régénération des pâturages. Ce phénomène est caractérisé par une tendance inversée en période de soudure, période de raréfaction des pâturages et de l’eau ayant pour conséquence l’affaiblissement des bêtes. Ainsi, partir de décembre, les prix entament une chute qui peut s’avérée dramatique au plus fort de la période de soudure.

Afin de mieux comprendre le phénomène de spéculation des prix dans la région de Zinder, il est pertinent de le comparer avec certains aspects caractérisant la situation rencontrée dans la région de l’Aïr. Cette dernière accuse un déficit chronique en terme de production céréalière qui en fait une région fortement déficitaire. Paradoxalement, l’Aïr reste caractérisée par une tendance inflationniste limitée des prix céréaliers. En effet, au cours du mois de juillet 2006, il a été constaté que le prix de la mesure du mil reste peu élevé malgré une saison des pluies défavorable. Par ailleurs, la tendance inflationniste reste relativement stable à cette période (les prix fluctuent en moyenne entre 400 FCFA et 425 FCFA sur les marchés comme au sein des banques céréalières au lieu des 525 FCFA observés dans la région de Zinder). Cette caractéristique peut s’expliquer par le nombre élevé de banques céréalières, leur répartition spatiale homogène, leur ouverture tout au long de l’année, la faible densité de la population villageoise et l’assiette alimentaire diversifiée qui montre une moindre dépendance au mil et permettant une meilleure gestion des stocks.

Dans l’Aïr, le cumul de ces phénomènes limite la tendance inflationniste malgré un déficit chronique en terme de production. Dans la région, l’accès aux banques céréalières n’est pas limité aux seuls membres même si ces derniers restent privilégiés en période de pénurie. La banque constitue un stock de sécurité destiné à cette fin. Néanmoins, il est important de souligner que la tendance inflationniste à terme est peut être en partie limitée par l’intervention des organisations humanitaires à travers des projets de type “food for work” ayant comme finalité la reconstitution des stocks des banques céréalières en contrepartie de la réalisation d’un projet effectué dans les villages. Cette action ciblée de l’aide humanitaire dans certains villages peut être à l’origine de la reconstitution des stocks de certaines banques céréalières ayant pour conséquence un renouvellement des stocks initiaux sans sollicitation du marché. Depuis début janvier jusqu’à fin avril 2006, ce sont près de 6200 tonnes de vivres qui ont été distribuées aux partenaires opérationnels du PAM[i] dans le cadre des activités nutritionnelles et d’actions “food for work” pour environ 300 000 bénéficiaires mensuels. Au total, près 10 500 tonnes de vivres ont été ainsi distribuées par le PAM depuis le début de l’année 2006, tout programmes confondus sur l’ensemble du pays.

Malgré une tendance inflationniste moins prononcée que dans la région de Zinder, la crise alimentaire n’est pourtant pas absente de l’Aïr. Cette dernière reste persistante suite à l’effondrement de certains débouchés économiques des cultures maraîchères telle que la culture de l’oignions sur les marchés des pays côtiers. La crise ivoirienne a eu d’importantes répercutions sur l’économie d’Agadez. Ce pays constituait, avant les évènements survenus en 2002, le principale débouché de la production régionale d’oignions. Avant la crise, le sac d’oignions (unité de 110 kg) était vendu en Côte d’Ivoire au prix de 15 000 FCFA. Après la crise rencontrée dans ce pays, le prix a été considérablement dévalué pour se fixer à 1500 FCFA pour la même unité !

Les modes d’adaptation compensatoires spécifiques développés par les familles en situation de précarité

Face aux difficultés engendrées par la crise alimentaire, les populations rurales de la région de Zinder ont développé des stratégies de survie que l’on peut qualifier de “compensatoires”. Les principales stratégies destinées à fournir des revenus compensatoires sont le recours à des travaux peu lucratifs  permettant d’assurer un revenu complémentaire, la vente et/ou la mise en gage des terres et la sollicitation des formes d’aides institutionnalisées. Ces populations ont une marge de manœuvre extrêmement réduite pour faire face à leur déficit vivrier. Elles sont souvent contraintes de louer leurs bras à d’autres agriculteurs en délaissant leurs propres parcelles. Ainsi, nombreuses sont les familles qui survivent suite à la pratique de travaux d’appoints tels que la préparation des champs. Au réseau de solidarité dit traditionnel risque de se substituer un système structurel d’aide caritative. Dans le cas où l’aide est systématisée, sur le plan social, celle-ci peut contribuer sur le long terme à l’effritement du réseau de solidarité de type traditionnel. L’exode vers les villes répond d’avantage à des stratégies désespérées entraînant trop fréquemment les membres du ménage dans le cercle vicieux de la spirale de la pauvreté : endettement, vente de la production à bas prix et paupérisation.

Par ailleurs, l’une des conséquences directes de la crise réside dans le fait que le nombre de personnes capables de venir en aide aux familles ne cesse de diminuer. De plus, les processus conduisant à la pratique d’une forme de quasi-mendicité ou d’une mendicité de rue sont observés de plus en plus fréquemment. Par ailleurs, les populations agropastorales doivent vivre avec le risque d’une décapitalisation précoce de leur cheptel suite à l’obligation de vendre des bêtes afin de faire face à la période de soudure. Les bêtes sont vendues alors que le fourrage manque, les animaux sont en mauvaise condition et leurs prix chutent sur les marchés. De façon générale, dans la région de Zinder, le retard de développement des pâturages est à l’origine des difficultés des gros ruminants à accéder à la nourriture, phénomène qui contribue à fragiliser l’équilibre socio-économique de ces populations.

Les populations s’adonnant à l’agriculture doivent faire face à des charges financières élevées avant la période des semences. Ces charges financières sont liées à la préparation des champs. Cette situation amène les ménages à procéder à une division du travail au sein de la famille. Lorsque leur situation financière le permet, les familles embauchent des travailleurs agricoles en vue de renforcer la main d’œuvre existante. Grâce aux apports financiers des jeunes en migration dans les centres urbains, le ménage parvient à rémunérer la main d’œuvre agricole au prix de 1000 FCFA par jour et par ouvrier agricole pendant une période estimée généralement à 7 jours par champs. Par contre, les plus pauvres sont obligés de délaisser leurs parcelles pour se vendre comme journalier. Ces personnes ne peuvent donc pas cultiver leurs champs. Dépourvus des moyens pouvant leur permettre de produire des réserves alimentaires en quantité suffisantes, ces ménages restent dépendants de la solidarité et de l’aide extérieure pour leur alimentation. Cette situation met en évidence la problématique d’accès à la terre. De nombreux paysans vendent ou mettent en gage leurs terres en périodes de crise. Dans la région, de grands propriétaires terriens se sont constitués en rachetant ces terres qui désormais, les louent aux paysans.

Conclusion

Dans la région de Zinder, la crise alimentaire survenue pendant l’année 2005 a autant pour origine le déficit céréalier que les pratiques spéculatives initiées et entretenues par les grands commerçants tandis que les caractéristiques socio-économiques des familles pauvres en constitue le terrain fertile et en accentue les effets. Au regard de la nature structurelle des causes profondes de la crise, il s’avère nécessaire d’initier un débat traitant des réponses durables à apporter aux crises chroniques prenant effet dans ce pays, cela même si les actions à entreprendre nécessitent de repenser l’organisation du marché céréalier dans sa globalité.

Auteur : François-Xavier de Perthuis de Laillevault. Article publié dans Le Panoptique, le 1er février 2008.


[i] Programme alimentaire mondial des Nations-Unies.

Pour aller plus loin…

– Rapport d’information effectué au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur la mission d’évaluation et de contrôle du soutien français au dispositif nigérien de gestion de la crise alimentaire, session extraordinaire de 2004/2005, document de travail n° 512 enregistré à la Présidence du Sénat le 29 septembre 2005.

– “Rapport Spécial, Mission FAO/PAM d’évaluation des récoltes et des disponibilités au Niger”, FAO, décembre 2004.

– “L’intégration des programmes d’aide alimentaire aux politiques de développement du Niger : le cas de la crise alimentaire 2004 – 2005”, Dorothée CHEN et Nicolas MEISEL, Agence Française de Développement, septembre 2006.

– “Crise alimentaire au Niger et dans d’autres pays du Sahel”, Commission européen (ECHO), Août 2005, http://ec.europa.eu/echo/field/niger/index_fr.htm

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